Que les choses soient claires : je ne suis pas très satisfait. Je vais peut-être faire hurler les anciens, ceux qui ont vécu ces années là et/ou les intégristes, mais bon, je vais argumenter.
Sur la réalisation cinématographique elle-même : rien à redire. Je n'y connais pas grand-chose, mais j'ai aimé beaucoup de moments. La bande son était sympa. Deux mentions spéciales : le casting et les transitions via boite de nuit.
Alors qu'est-ce qui contribue à mon insatisfaction ?
- Le flou entre la fiction et la réalité.
Sur toutes les actions du groupe présentées dans le film, il n'est jamais dit lesquelles se sont vraiment déroulées et lesquelles ont été inventées pour le film. Or il y en a beaucoup. La scène où la Seine est couleur sang, bien que magnifique et très bien réalisée, est auparavant évoquée par un des personnages dans une liste d'actions qu'il considère comme farfelues. Je sais qu'une action de cette liste (la capote sur l’obélisque) a vraiment été réalisée. Je ne sais pas si les autres l'ont été ou pas. Et le film ne le dit pas.
Idem pour la distance entre le président de l'asso et les autres. Ou pour les accusations dont il a fait l'objet au sujet de se mettre sur le devant de la scène et d'aimer ça. Était ce un vrai problème de l'époque ou une invention pour le film ?
Et pareil pour le militantisme des membres et leur rapport entre leurs morts et leurs militantismes. Est-ce que ça allait vraiment jusque là ? - Des scènes trop courtes, des moments pas assez appuyés.
Le passage à la plage n'apporte pas grand-chose. Ou alors c'est pas assez appuyé. S'il s'agissait de montrer la logistique nécessaire lors d'un voyage avec une personne séropositive, je peux comprendre, mais ça méritait plus d'insistance.
Le malaise que fait Nathan pendant qu'il distribue des tracts à une Gay Pride. Pourquoi ? Comment ? Là encore, en l’état, la scène n'apporte rien. On se dit qu'il y a peut-être un rapport avec ce que lui donne le président mais rien n'est sûr.
L’état psychologique de Nathan à la toute fin est à mon avis passé sous silence. Il n'y a rien d'anodin dans son action et pourtant, rien. On dirait "juste" qu'il vient de perdre son compagnon, rien de plus. Alors que bon… - Les scènes d'archives.
A deux moments dans le film, on voit des images d'archives. Moi ça me plaît. Mais elles sont trop courtes et trop rares. Ça rejoint en partie le problème de différentiation fiction/réalité mais avec le coté cinématographique en plus. - A qui s'adresse ce film ?
Si c'est un film pour expliquer aux hétéros le combat d'Act-up et de la communauté LGBT, ça manque d’éclaircissements, c'est trop subtil. Si c'est un film pour les LGBT+ qui ont plus de 30 ans (genre moi), ça manque de profondeur. On sait déjà quasiment tout ça, on voudrait en savoir plus. Si c'est pour les nouvelles générations de LGBT+, je ne suis pas sûr - La toute dernière scène de baise. (Attention, gros gros gros spoil ci-dessous.)
Je comprends que Nathan se jette sur le prochain mec qui passe après la mort de son compagnon. Éros et Thanatos, etc, etc. Ça, je peux comprendre sans problème. Mais fallait-il vraiment que ce soit avec le mec que son compagnon haïssait ? Je suis peut-être trop "romantique" sur ce coup, mais ça m'a choqué. - Ça manque d’hétéros ! Non, je rigole, c'est une blague, pas taper !
Après, il y a beaucoup de choses qui m'ont plu.
- Les réunions de l'asso : Très représentatives de ce qu'il peut se passer dans toute réunion militante. Très très intéressant pour toute personne qui n'a jamais vécu ça.
- Les mots crus et direct : "les pedés, les putes, les toxicos" (entre autres). Les militants sont là pour un combat et pas pour s'encombrer de termes politiquement corrects.
- Des scènes magnifiques : la Seine en rouge et la respiration. L'enterrement de Jérémie. Les "soins funéraires" de Sean et la veillée qui s'en suit. L'attaque du labo pharmaceutique. L'attaque du buffet.
- Des acteurs beaux : beaux au sens classique du terme (Nathan mais pas que) et/ou beaux dans leurs militantisme. Leurs actions les transcendent et ils en ressortent embellis.
- Des combats connexes : la fin de vie, la transsexualité, la vie de famille.
- L'amour de Nathan pour Sean. L'amour plein et entier. Jusqu'au bout. Vraiment jusqu'à la fin. Et l'amour de Sean pour Nathan, masqué par la lutte contre la maladie, mais malgré tout présent. (En écrivant cette phrase, je me rends compte que c'est ce qui m'a le plus marqué. J'en ai les larmes aux yeux. Peut-etre que ma tristesse à ce sujet impacte mon ressenti global.)
Ce qui m'a marqué, sans me plaire ou me déplaire :
- "Si vous acceptez de faire partie d'Act-Up, peu importe votre statut sérologique : il vous faudra accepter d'apparaitre comme séropositif aux yeux des médias et du public."
- "C'est vrai, t'es seroneg ?
- Oui.
- C'est dommage, t'es mignon." - "Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?
- Moi dans la vie ? Je suis séropo."
Du coup, je ne sais pas si je conseille d'aller le voir. Enfin si. Allez le voir pour vous faire votre idée. Allez le voir pour passer un bon moment cinématographique.
Bill a bien aimé, lui.
Et vous pouvez retrouver chez Matoo la même critique sur " le traitement des deux narrations en parallèle", chez Nico des réponses à mes questions, chez Patrick Antoine un appel au militantisme et chez Pascal, Virgile et Le Roncier des témoignages de leurs vies