C'est donc ainsi que je me suis retrouvé à l'age de 7 à Zakopane, charmante bourgade de la Pologne communiste. Et oui, 1988, c'est avant la chute du mur de Berlin. c'est avant la chute du bloc communiste. C'est à peine 3 ans après le début de la Glasnost.

Bon, 7 ans, vous vous doutez bien que j'ai peu de souvenirs. Mais quelques-uns, quand même. Je me souviens un peu de l'hôtel où nous étions logés. Je me souviens du passage de la frontière tchèque. Vérification complète du car, comptage des passagers, contrôle des passeports et visas, miradors, frontière en fils barbelés sur 2 mètres de haut, etc... Je me souviens aussi d'une représentation dans un petit bled paumé (dont le nom ne me revient pas mais qui était composé de, à peu près, 8 consonnes et 2 voyelles (dont 2 y)). L'anecdote que je vais vous raconter plus bas se déroule justement avant la représentation.

A partir de ce point, tout ce que je raconte vient non pas de mes souvenirs mais de ce que mes parents ont raconté à leurs amis et connaissances les années suivantes. Si je dis "nous", c'est parce que j'étais présent, mais pas forcement conscient de tout ce qui se passait.

Il faut savoir que pendant notre séjour là-bas, nous étions à l'époque accompagnés d'une traductrice pour la communication et de 2 gardes du corps pour notre propre sécurité, bien sur. En théorie, les 2 gardes (rapidement surnommés Starsky et Hutch) ne parlaient pas français. En pratique, l'un d'eux s'était trahi en ayant un mouvement d'intérêt lorsqu'un membre du groupe avait parlé d'apéro. A partir de ce moment-là, dès que nous voulions parler avec l'interprète, il y avait toujours un musicien du groupe prêt à répéter un morceau de musique à l'accordéon. Et si le musicien se trouvait être placé entre les garde du corps et l'interprète, de manière à empêcher les premiers d'entendre la discussion de la seconde avec les dangereux capitalistes  occidentaux, c'était purement fortuit, comme de bien entendu.

Avec du recul et connaissant un peu les personnes concernées, je pense que c'était plus par rébellion contre l'autorité pure que contre le communisme.

Bref. Un jour, l'interprète nous annonce que nous allions aller le lendemain dans une petit village de la plain avoisinante afin de se produire devant les habitants du village, en présence de divers officiels, grosses légumes, etc, etc... Pas de problème. On prévoit une ou deux danses et on se dit que tiens, ce chant là est assez beau et qu'on pourrait le chanter. Bon, à la base, il est catalan, mais vu de la Pologne soviétique, la Catalogne ou la Bigorre, c'est pareil. On va quand même le répéter un peu, histoire d'être surs. Le perron de l'hôtel est un bon endroit, ils ont l'habitude, il fait beau, tout va bien. Pour le moment.

Tout le monde a les paroles, on se met un peu en place et on commence à chanter.

Soudainement, les 2 gardes se raidissent, presque au garde-à-vous, ce qui ne nous empêche pas de continuer. Par contre, ce qui nous arrête plus ou moins net, c'est l'arrivé en courant de la traductrice avec forces mouvements de bras et regards affolés.

  • Arrêtez!! Arrêtez!!
    On s'arrête.
  • Vous ne pouvez pas chanter ça.
  • Pourquoi pas? C'est un chant de chez nous.
  • Non, vous ne pouvez pas. C'est l'hymne de Solidarnosc!!

Effectivement, on ne peut pas. On en peut pas se pointer dans un bled de la campagne polonaise devant je ne sais combien d'officiels du Parti et chanter un hymne d'opposition au régime. Il a fallu trouver autre chose.

C'est dommage, on aurait pu en profiter pour visiter les geôles polonaises. Tout le monde ne peut pas en dire autant.