Dans le livre que je suis en train de lire, un des personnages meurt, la gorge tranchée. Peu après, sa soeur arrive et voit le corps tel qu'il a été decouvert. En presence d'autres personnes, cette soeur reste exterieurement calme. Elle prend ensuite le corps de sa soeur dans ses bras et demande à rester seule. Lorsque tout le monde est sorti, on entend un cri, "the full-throated cry of a woman mourning the loss of everything".[1]
Et là, je reflechis. Outre le fait que ce genre de scene me touche toujours, je m'interroge. Connaitrais-je un jour ce deuil, cette perte? Pas tel que je suis actuellement. Rien de ce que je tiens actuellement pour acquis ne represente "tout" pour moi.
Bien sûr, lorsque je perdrai un proche (ami, famille, conjoint), il y a des chances pour que je ressente une tristesse, un sentiment de perte plus ou moins fort, mais quand même pas au point de tout lacher; pas au point d'avoir l'impression que l'univers s'est effondré.
Je pense que ce genre de sentiment est reservé à deux types de personnes :

  • les personnes agées en couple et qui ne vivent que par et pour leur conjoint
  • les personnes qui ont accompli un enorme travail et qui le voient disparaitre completement (l'angoisse du doctorant maladroit qui voit sa these detruite au detour d'un disque dur mort)

Dans les autres cas, il existe toujours autre chose. Pas forcement pour remplacer (puisque c'est en general irrmplaçable), mais pour continuer ou recommencer. Des enfants ou des amis lors de la perte du conjoint; d'autres amis lors de la perte d'un ami; des notes, des collegues, d'autre travaux dans le cas où on perd son oeuvre.

Par contre, l'opera ne se prete pas à ce genre de scene. Entre le debut et la fin de l'ecriture de ce billet, j'ai assisté à Rigoletto; où le personnage principal voit son unique fille mourir sous ses yeux (par sa faute, qui plus est). Ben, on ne ressent pas la même douleur. Ca doit etre le chant qui fait ça. Difficile de prendre au serieux quelqu'un qui chante devant le cadavre de sa fille. Surtout quand le cadavre en question a eté poignardé en plein poitrine une heure plus tot et continue à chanter lui aussi.

[1] : Traduction assez difficile. Disons que c’est "le cri à plein poumons d’une femme pleurant la perte de tout."