A la base, je ne cherchais pas à me marier. Le mariage n'a jamais été un but dans ma vie, principalement pour deux raisons : je n'y ai pas droit et c'est juste un contrat entre deux personnes pour savoir ce qui appartient à qui pendant et après la vie commune. (Éventuellement, la signature d'un mariage peut être l'occasion de faire une grosse fête, mais on n'a pas forcement besoin d'excuse pour ça.) Est-ce que maintenant, j'envisage de me marier? Peut-être. Je pense à plein de petits à-côtés liés au mariage, comme le choix des alliances, la cérémonie en costume devant le maire, la grande fête, le baiser officiel, etc... Ce n'est toujours pas un but, mais ça s'en rapproche un peu.

Par contre, j'aimerais vraiment avoir un enfant. Depuis plusieurs années, je réfléchis à la question. Je ne pense pas être plus doué, ni moins doué que la moyenne des parents et je ne comprends pas pourquoi on m'interdit d'adopter. J'ai autant d'amour à donner que n'importe qui d'autre. Et même dans l'éventualité où je me planterais complètement dans l'éducation de mon gamin, je vis avec mon homme, nous avons chacun une famille autour de nous qui ont déjà éduqué de nombreux enfants sans en faire des terroristes. (Attention, gros scoop hallucinant : les parents ne sont pas seuls responsables de l'éducation de leurs enfants. Même s'ils y jouent un grand rôle.) A ce niveau là, j'attends donc énormément de ce projet de loi.

Mais au delà de mon cas particulier, il y a 2 significations plus générales pour cette loi :
La première signification, c'est une grande étape vers l’Égalité. La France a pour devise : "Liberté, Égalité, Fraternité". Je me suis rendu compte petit à petit que cette devise n'est pas vraiment une priorité dans notre pays. La Fraternité a pris beaucoup de coup ces dernières années suite à des politiques de division des groupes. La Liberté est encore relativement bien en place, mais est discrètement érodée. Et l’Égalité n'existe pas. Ouvrir le mariage à tous les couples qui le veulent serait une étape vers cette Égalité.
La seconde signification serait la suivante : un fort message de la part du gouvernement contre l'homophobie et les homophobes. En complément de toutes les campagnes de sensibilisation mais avec plus de force. Ça serait comme dire haut et clair : "Le gouvernement considère vraiment les homosexuels comme des citoyens à part entière." Et ça, ça permettrait de réduire l'homophobie qui gangrène notre société actuelle.

C'est d'ailleurs dommage que nos dirigeants aient senti nécessaire de faire des débats et de réfléchir pendant des mois avant de passer cette loi. Ce laps de temps a été ressenti comme une hésitation. Désaveu du projet pour les personnes favorables, signe de faiblesse pour les opposants. Ce qui a permis à ces personnes de se lâcher, se sentant confortés dans leur opposition. "Voyez, même le gouvernement hésite! Vous voyez bien que ce projet de loi est une erreur." Et de déverser leur inepties, leurs arguments fallacieux, leur incompréhension totale du problème et surtout leur haine.
Cette haine agressive, dégoulinante, destructive, salissante.

J'ai peut-être eu une vie facile. J'ai eu la chance d'être accepté par ma famille, par mes amis, par mes collègues et même par le curé de mon village, avant _et_ après mon coming-out. Certains ont eu un mouvement de recul, de l'incrédulité, de la tristesse, un peu de dégout, mais jamais je n'avais été expressément rejeté ou ouvertement haï. Jusqu'à cette année. Jusqu'aux fameux "débats" sur l'ouverture du mariage aux couples homosexuels. A l'époque des débats sur le PACS, je n'étais pas conscient de mon homosexualité, encore moins militant. Je n'ai pas vécu les attaques. Mais cette année, ces 6 derniers mois, depuis l'évocation par le gouvernement nouvellement élu du projet de loi, j'ai découvert cette haine de certaines personnes, de certaines catégories de personnes pour les homosexuels en général et pour moi par extension. Cette année, j'ai ressenti tout le mal que l'on peut penser d'une personne sans la connaitre, uniquement en fonction de ses attirances sexuelles. Cette année, je me suis rendu compte que beaucoup de personnes pensent vraiment que les homosexuels détruiront les "valeurs" de la société, seront à l'origine de la fin du monde, sont maléfiques et/ou dérangés mentalement, ne sont que des égoïstes narcissiques, sont dans l'incapacité d'élever un enfant (ou alors pour en faire des terroriste ou des déviants). Cette année, j'ai pris conscience que pour le gouvernement et pour une trop grande partie de la population française, je ne suis pas un humain à part entière.

Et ça m'a fait mal. Vraiment mal.
(Heureusement d'ailleurs que tout ça a lieu maintenant que j'ai une vie agréable et pas l'année dernière, je n'aurais pas tenu le coup).

Je ne suis pas le seul à avoir mal. Les autres personnes concernées souffrent aussi, en particulier les personnes déjà fragilisées, comme celles qui découvrent à peine leur homosexualité, celles qui sont déjà rejetés par leur entourage, celles qui ont d'autres problèmes dans leurs vies que leur sexualité. Sans compter celles qui se font agresser verbalement ou physiquement. L'association Le Refuge signale d'ailleurs un regain d'homophobie.

C'est pour ces raisons que j'aurais nettement apprécié que les débats n'aient pas eu lieu. Le projet de loi était au programme du candidat présidentiel, il aurait du oser, mettre un grand coup sur la table, se servir de la majorité qui est la sienne au Parlement et faire passer cette loi dès les premiers jours sans se soucier du qu'en dira-t-on, comme l'avait fait Mitterrand avec la peine de mort. Je suis en général pour l'échange d'idées, pour les débats, pour que chacun puisse s'exprimer et donner son avis. Mais il faut pour ça un minimum de respect entre chaque participant. Hors ce n'est clairement pas le cas ici. Comme je l'ai déjà signalé, les opposants considèrent les homosexuels comme des sous-humains.
Suite à ces "débats", suite à ces hésitations, suite à l'absence de message clair et fort en faveur du projet, je ne crois plus trop au passage de cette loi. Ça aussi, ça me fait mal. Mais franchement, je n'espère plus. C'est encore pire qu'avant. Avant, on savait qu'on n'avait pas le droit de se marier ou d'adopter. C'était injuste, mais on le savait et on n'attendait rien de plus. Cette année a tout changé. Au printemps, on nous promet l'égalité sur ce point. On nous promet de nous donner les mêmes droits que les autres citoyens. Joie. Bonheur. Espoir. A l'été, ce n'est pas le moment, il y a des lois urgentes à passer avant et puis c'est les vacances. Euh oui, mais bon… Et là, à l'automne on nous dit qu'on n'est plus trop sur, il faudrait qu'on en discute. Avec qui? Ben, avec les gens qui nous détestent et nous considèrent comme des sous-humains. Ah d'accord. Ça me rappelle quelques sentences : "Les promesses n'engagent que ceux qui y croient." ainsi que "Plus haut on monte, plus dure est la chute".

Effectivement, la chute a été dure. Elle a fait mal, elle fait encore mal.

Le jour où la loi sera votée, que ce soit en positif ou en négatif, je pousserai un grand soupir de soulagement. Parce que ce sera enfin la fin des "débats", ce sera enfin le moment où les homophobes n'auront plus d'excuse pour déverser leur haine sur nous ni pour justifier leurs attaques mesquines ni pour étaler leur ignorance crasse. Et en fonction du résultat du vote, j'irai fêter ça ou j'irai pleurer.